JE SUIS UN METTEUR EN SCÈNE JAPONAIS

Conception Fanny de Chaillé
Texte Minetti de Thomas Bernhard, traduction Claude Porcell (l’Arche Editeur)
Avec Guillaume Bailliart (acteur), Christine BombalChristophe IvesOlivier NormandTamar Shelef (danseurs)
Dispositif scénographique et costumes Nadia Lauro
Musique Manuel Coursin
Lumières Yannick Fouassier
Régie lumières Willy Cessa
Production et diffusion Isabelle Ellul

Durée 1h

Création 2011 au Théâtre de la Cité internationale à Paris.

Le Bunraku est le vieil art japonais des marionnettes. C’est à lui que rêve Fanny de Chaillé quand elle s’improvise metteur en scène japonais. Du Bunraku, elle reprend la structure traditionnelle : un récitant qui joue tous les rôles de l’histoire, un musicien qui accompagne les émotions du récitant, des marionnettes de grande taille manipulées à vue par trois manipulateurs.
Mais comme elle n’est quand même pas entièrement japonaise, Fanny de Chaillé introduit de légères et décisives modifications dans l’art traditionnel : la marionnette n’est plus une poupée mais un danseur de chair et d’os, le musicien ne joue pas du shamizen mais du ukulélé, le récitant ne raconte pas une histoire légendaire mais reprend Minetti, un texte de Thomas Bernhard.

“Il y a quelque temps, je suis tombée par hasard sur le livre de l’écrivain Dany Laferrière, dont le titre était Je suis un écrivain japonais. Pendant très longtemps j’ai pensé à ce livre, ou plus exactement à son titre, car j’aimais la revendication absurde qu’il portait mais aussi l’ensemble des questions qu’il soulevait.
Je n’étais jamais allée au Japon, mais pendant plusieurs mois j’ai lu des textes sur le théâtre japonais et dès que je rencontrai une personne qui avait vu du no, du kabuki ou du bunraku, je l’interrogeais et lui demandais de me décrire ce qu’elle avait vu.
J’ai fait une pièce à partir de ce fantasme construit au fur et à mesure de mes lectures, de mes rencontres.
Faire un projet, donc à partir de ces multiples descriptions, ne pas voir d’images mais plutôt extrapoler à partir de différents récits : mémoire orale, textes théoriques, exposés, descriptions…
Ce n’est pas la marionnette qui m’intéresse mais la capacité du collectif à créer une image ensemble. Tout le monde est au service de la création de cette image qui ne peut exister que par l’intermédiaire d’une force rassemblée. La forme théâtrale est ici dépliée, l’art est montré en même temps que le travail de l’art.

Production Association Display
Coproductions et résidences Théâtre de la Cité Internationale, Centre chorégraphique national Montpellier Languedoc-Roussillon – Programme Résidences, Centre national de danse contemporaine – Angers et l’ARCADI(Action régionale pour la création artistique et la diffusion en Ile-de-France).
Avec le soutien du Ministère de la culture et de la communication – DRAC Île-de-France dans le cadre de l’aide au projet et de l’ADAMI.

Pourquoi le Bunraku ?

“Evidemment l’intérêt que je porte à ce théâtre et plus particulièrement au théâtre de marionnettes, le Bunraku, n’est pas un hasard. Dans ce que j’en lis et ce que l’on m’en raconte ce que je trouve fascinant, c’est la structure même de ce type de représentation.
Le Bunraku est un type de théâtre dans lequel de grandes marionnettes (quasiment à taille humaine) sont manipulées à vue. Elles sont deux en général et chacune d’elle est manipulée par trois personnes : une première qui contrôle la tête et la main droite, une seconde attelée à la main gauche et enfin une troisième qui s’occupe des pieds et des jambes. Ces trois manipulateurs habillés en noir sont à vue, le premier a le visage découvert, les deux autres sont entièrement masqués. En ce qui concerne le texte, les dialogues de ces marionnettes, il est entièrement pris en charge par un seul homme, un récitant qui se situe sur un des côtés du plateau et est secondé par un autre homme qui joue de la musique, du shamisen. Le jeu est la réunion de la manipulation, du texte et de la musique.”

L’influence sur mon propre travail

“Ce n’est pas tant le travail de manipulation des marionnettes qui me captive dans le bunraku mais son organisation.
En effet, structurellement, on voit sur scène et la fabrication du théâtre et le théâtre lui-même, le geste et l’acte, le travail et son accomplissement. C’est ce qui m’intéresse dans ce type de représentation. Le théâtre est en quelque sorte donné à voir, il n’y a pas d’illusion, tout le monde est ensemble au plateau et participe à l’élaboration  d’une même narration qui est le fruit d’un travail collectif et non d’une transcendance ni d’une exclusivité.
Je veux donc me servir de cette structure pour mettre en œuvre un nouveau type de narration qui fait suite aux différentes expériences que j’ai menées ces dernières années.
Dans Ta ta ta, j’interrogeais le langage dramatique et les codes théâtraux qui le traversaient pour montrer comment une forme pouvait induire un fond ; le geste était inséparable du son, qui faisait, ou même était le sens.  Avec Gonzo conférence, je décidais de séparer le texte de l’action, le récitant se trouvant parmi les spectateurs ; je voulais par là que chacun puisse s’approprier la parole énoncée. Enfin dans Nos illusions perdues, l’ensemble des actions était relayé par la voix, porteuse de narration, sans quoi le geste n’avait plus de valeur. Le geste impliquait une parole qui elle-même impliquait un geste pour les interprètes comme pour les spectateurs.
Je veux donc étudier le théâtre japonais à travers des récits pour imaginer d’autres formes de narration que je pressens plus inclusives. Continuer à imaginer ce qu’il est sans en faire l’expérience en tant que spectateur. Inventer à partir de lui une prise de parole, une mise en scène qui inclut en simultané le geste et sa fabrication, l’image et sa construction, l’art et le travail.

Minetti de Thomas Bernhard

Dès le début, il y a eu la volonté de me confronter à un texte de théâtre pour mettre cette forme au travail, j’ai donc lu un certain nombre de textes dans cette perspective et je suis tombée par hasard sur Minetti de Thomas Bernhard. J’ai aimé ce texte, ce portrait d’acteur, ce discours sur l’art et l’artiste, sur le rapport que l’artiste entretient avec le monde. En lisant ce monologue, cette parole d’acteur je projetais la forme que j’avais fantasmé à partir du bunraku. Car Minetti c’est l’histoire d’un acteur et plus précisément d’un vieil acteur  or un acteur japonais est forcément un vieil acteur, en effet au Japon plus un acteur vieillit et plus il est considéré comme un grand acteur. Cet acteur qui parle n’a pas joué depuis trente ans il est acteur dans sa chambre depuis tout ce temps, il est en marge, sur le côté, il est un récitant, il n’est plus un acteur car il n’est plus sur scène. Minetti c’est ce récitant qui est sur le côté depuis des années, il est ce récitant qui se cachera dans notre projet derrière différents masques, différentes marionnettes qui une à une  incarneront sa parole, comme il s’est caché derrière le masque d’Ensor pour jouer Lear. Enfin il se décidera à monter sur scène car il est là dans ce hall d’hôtel pour jouer Lear une dernière fois…

Extrait de l’article d’Emmanuelle Bouchez dans Télérama, mars 2012

Les interprètes tout de noir vêtus y sont tour à tour manipulateurs et manipulés, selon un dispositif inspiré du bunraku, cette tradition japonaise où les marionnettes sont dirigées à vue. Empruntant le titre du roman de Dany Laferrière, Je suis un écrivain japonais, la facétieuse Fanny de Chaillé fait donc, elle aussi, « comme si ». Comme si elle maîtrisait parfaitement cet art scénique à force de l’avoir potassé de loin. Culotté. Cela devient, sur scène, une hilarante parodie de bunraku, sur un tempo d’ukulélé, offrant, par la même occasion, un éclairage, incisif  et sérieux celui-ci, de Minetti.
Dans la bouche du récitant, les phrases viennent, étirées ou rapides. Les « marionnettes » s’animent dans la même tension. Et l’on entend le récit à nu, sans surinvestissement psychologique. L’histoire d’un vieil acteur, chassé de la scène il y a trente ans, pour avoir refusé de jouer les classiques. Mais qui attend, le soir de la Saint-Sylvestre, le directeur de théâtre susceptible de lui offrir le rôle de Lear. La hargne d’écrire de Bernhard rendant hommage à la solitude de l’artiste en révolte, voilà ce qui apparaît tout brut.